La e-santé est depuis début 2018 l’un des secteurs les plus prolifiques en opérations de levées de fonds et de rapprochements en France. Plus d’une trentaine de deals d’au moins 1 M€ ont été annoncés, dont la levée de fonds de 150 M€ de DOCTOLIB en mars dernier, consacrant la fameuse application de prise de rendez-vous médicaux en ligne en la 5e licorne française.
Un des objectifs annoncés par le co-fondateur de DOCTOLIB, Stanislas NIOX-CHATEAU, est ni plus ni moins de « transformer le système de santé » dans les prochaines années. Après avoir effectué 7 levées de fonds (totalisant 271 M€) depuis sa création en 2014 pour financer son déploiement à marche forcée et faire adopter sa solution de prise de rendez-vous par 75.000 praticiens et 1.400 établissements de santé, DOCTOLIB s’est lancé avec les mêmes ambitions sur la téléconsultation en début d’année.
Cette activité, que la Sécurité Sociale rembourse depuis début 2018 sous certaines conditions, est en effet promise à un grand avenir et attise les convoitises de nombreux acteurs. Elle pourrait en effet être un moyen de lutter contre les déserts médicaux, de permettre le désengorgement des services d’urgence des hôpitaux, d’améliorer le suivi des patients en affection longue durée ou à mobilité réduite et de réunir en une même consultation le médecin traitant et le spécialiste, au bénéfice du parcours du patient.
Avant l’ouverture du remboursement de la téléconsultation, quelques opérations de consolidation ont eu lieu, comme le rachat de la société de télédiagnostic et télé-expertise ETIAM par MNH GROUP (en mars 2017) et celui de MES DOCTEURS par VYV, la nouvelle structure des mutuelles MGEN, ISTYA et HARMONIE (en novembre 17). La jeune pousse provençale, créée par Séverine GREGOIRE et Chloé RAMADE (fondatrices de MONSHOWROOM.com, revendu à CDISCOUNT), s’était lancée dans la télémédecine en mettant en relation internautes et un réseau de 300 médecins généralistes et spécialistes. Après le rachat par VYV, ces consultations seront déployées auprès des adhérents des mutuelles ainsi qu’auprès des EHPAD et d’autres acteurs de la protection sociale.
Ce modèle économique était également celui de MEDECINDIRECT, une plateforme de télémédecine, proposant les services d’une quarantaine de médecins indépendants, dont les actes étaient pris en charge par des mutuelles et des assureurs santé, avant d’être racheté par le groupe américain TELADOC HEALTH en mars 2019.
Depuis, trois autres opérations dans ce domaine ont été annoncées :
La téléconsultation est un exemple du foisonnement d’innovations technologiques et de services issu d’une évolution administrative. D’autres mouvements de fond ont lieu dans la e-santé, à la faveur d’initiatives des acteurs publics de la santé, notamment pour favoriser l’émergence à la fois de standards d’échanges de données de santé, d’optimisation des parcours de soins des patients, de coordination des offres de soins et des actions des secteurs médico-sociaux et sociaux, le tout dans la plus grande sécurité, les informations de santé étant particulièrement sensibles.
Un autre levier important d’activité du marché de la e-santé est le lancement par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie du Dossier Médical Partagé en novembre 2018, après de nombreuses tentatives de centralisation des données de santé des patients depuis une trentaine d’années. Le nouveau DMP est le carnet de santé numérique du patient : il contient ses données médicales, de façon très sécurisée, et sera alimenté par les professionnels et institutions de santé et accessibles uniquement aux professionnels du parcours de soins du patient, ce dernier gardant la main sur le choix des informations et des accès qu’il autorise, y compris en cas de situation d’urgence. Le DMP rassemble synthèses et comptes rendus, traitements, analyses, remboursements, éléments de prévention, certificats et un espace personnel que le patient pourra alimenter, seul ou via son médecin traitant.
Le DMP a donc vocation à améliorer le partage des données médicales du patient entre les différents professionnels de son parcours de soins, en ville ou à l’hôpital, lors d’une consultation médicale ou en cas d’urgence. Il améliorera l’efficacité et la fluidité des parcours de soins, qui tendent à être plus longs et complexes, avec l’allongement de la durée de la vie et la multiplication des spécialités médicales et médico-sociales. Il suppose une grande interopérabilité des systèmes d’information des différents acteurs, et c’est là un des grands enjeux de la santé numérique, avec la sécurité des données.
Plusieurs opérations capitalistiques significatives ont eu lieu ces deux dernières années, notamment :
Les logiciels dits « métier » (practice management system, PMS) se sont largement répandus ces dernières années, et l’année 2019 a été particulièrement riche en opérations. Les développeurs de PMS proposent, en numérisant, interconnectant et automatisant différentes étapes de l’activité des praticiens, de faciliter « leur expérience utilisateur », ainsi que celle de leur personnel et du patient lui-même. Par exemple, un chirurgien exerçant à la fois dans le public et le privé a besoin :
Enfin, il gagnera du temps avec une solution de téléconsultation en diminuant les inconvénients du déplacement pour le patient. Lors du retour au domicile du patient après une hospitalisation, d’autres outils numériques seront utiles pour les soins infirmiers, l’assistance des personnes en situation de dépendance, etc.
Ces acteurs des PMS ont donc eu besoin de financer les développements de logiciels et d’interfaçage avec les systèmes d’information hospitaliers publics et privés, ceux des organismes payeurs et de toutes sortes d’établissements de santé. Ils ont aussi engagé des dépenses parfois considérables en frais commerciaux et d’accès au marché, et certains ont initié une expansion internationale. Ils ont levé plusieurs centaines de millions d’euros auprès d’un grand nombre de fonds d’amorçage, de venture et de croissance, mais aussi de business angels. Certains concurrents se sont regroupés ou ont été absorbés.
Les fournisseurs d’applications de prise de rendez-vous médicaux en ligne, une dizaine d’intervenants en 2016 (CALIMED, CROSSWAY, DOCTOLIB, KELDOC, MEDIBASE SYSTEMES MEDOUCINE, MONDOCTEUR, PAGES JAUNES, RDV MEDICAUX…), sont moitié moins nombreux aujourd’hui, avec une forte domination de DOCTOLIB. Ne subsistent que les applications avec des cibles spécifiques (les chirurgiens et autres spécialistes pour CALIMED, les médecines douces pour MEDOUCINE…). MONDOCTEUR a été racheté par DOCTOLIB en juillet 2018, MEDIBASE SYSTEMES (exploitant la marque OSOFT) par NEHS (ex-MNH) en novembre 2018 et RDV MEDICAUX par DOCAVENUE, filiale du groupe CEGEDIM en février 19.
Quelques acteurs restent indépendants et poursuivent leur développement grâce à des financements bancaires et l’apport d’investisseurs : l’éditeur marseillais d’ERP CALIMED, spécialisé dans la gestion des cabinets libéraux de chirurgiens et médecins spécialistes, a ainsi levé 1,9 M€ (en dette et fonds propres) pour financer le développement et le lancement du premier consentement aux soins entièrement numérique. SANCARE, éditeur francilien de logiciels de facturation pour les hôpitaux et cliniques privés, a également levé 1,8 M€ en novembre dernier auprès d’investisseurs qualifiés.
Pour terminer ce premier tour d’horizon des opérations capitalistiques dans le domaine de la e-santé, penchons-nous sur le rachat du groupe américain et celui –en cours– des bracelets connectés FITBIT par ALPHABET.
C’est la plus grosse acquisition de l’histoire du groupe français et elle devrait lui permettre de hisser la santé comme son deuxième marché derrière les transports. MEDIDATA est spécialisée dans les solutions logicielles dédiées aux essais cliniques qui ont pour but d’améliorer la valeur, limiter les risques et optimiser les résultats de l’ensemble des programmes de développement clinique. Parmi ses 1 300 clients figurent dix-huit des vingt-cinq premières sociétés pharmaceutiques et mondiales et la quasi-totalité des principaux organismes de recherche. La société américaine compte 2 800 employés et consultants répartis entre son siège social à New York et 16 bureaux dans sept pays notamment en Asie et en Europe. Elle a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires de 636 M$ (en croissance de 12 % sur 2017) et un bénéfice net de 51,9 M$. Le multiple de chiffre d’affaires extériorisé par la transaction dépasse 9x…
Cette acquisition ne peut pas être considérée à première vue comme une transaction dans la e-santé, mais plutôt dans les appareils électroniques grand public, et plus précisément dans ce que les américains nomment le wearable, un marché estimé par GARTNER à 88 milliards de dollars d’ici 2023, en croissance de 22% par an. La transaction valorise l’entreprise 1,4 fois son chiffre d’affaires prévu en 2020, un niveau relativement faible qui s’explique par l’identité et la part de marché des deux principaux concurrents, APPLE et SAMSUNG. Pour information, le prix d’entrée en bourse de FITBIT en 2015 était de 4,1 G$, soit près du double de celui payé par ALPHABET.
En fait, un des intérêts du géant de Mountain View dans cette opération pourrait être de récupérer et d’exploiter les données personnelles des utilisateurs des bracelets connectés, et notamment les données de santé, quand on connaît l’ambition du groupe californien, et particulièrement de ses fondateurs, en matière de prédiction des risques de santé et de recherches pour « tuer la mort ».
FITBIT est en effet un spécialiste des accessoires connectés dédiés à la santé et au fitness. GOOGLE avait déjà une application dédiée au fitness (GOOGLE Fit), mais grâce à ce rachat, il disposera d’une offre matérielle largement diffusée : FITBIT revendique 100 millions d’appareils vendus dans le monde et 28 millions d’utilisateurs actifs. Et dès qu’un utilisateur porte son bracelet FITBIT, il génère et enregistre des données de santé. FITBIT avait d’ailleurs orienté son marketing – en le différenciant de celui des APPLE watches – vers le bien-être et la gestion de sa santé, en nouant par exemple des relations avec des mutuelles ou des centres de santé pour leur fournir des montres équipées d’électrocardiogrammes.
Mais compte tenu de la position dominante de GOOGLE sur les moteurs de recherche et les espaces publicitaires en ligne, de nombreux utilisateurs de bracelets connectés, groupes de protection de la vie privée et autres associations de consommateurs craignent que GOOGLE utilise les données collectées à des fins de ciblage publicitaire, voire les vende à des assureurs, fabricants d’appareils, ou autres prestataires de services de santé. De ce fait, et malgré les promesses de transparence de GOOGLE sur l’usage de données personnelles, le Department of Justice des États-Unis aurait décidé, selon le NEW YORK POST et REUTERS, d’ouvrir une enquête pour vérifier si ce rachat représente une menace pour la protection des données personnelles des utilisateurs de bracelets connectés FITBIT.
Cette acquisition, si elle est autorisée, ne devrait se finaliser qu’au cours de l’année prochaine. Elle soulève de façon criante le besoin de sanctuarisation des données de santé des individus et les limites que les acteurs de la e-santé ne doivent pas franchir…
MBA Capital – Bureau de Marseille
Mis à jour le 18 mai 2022
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