En ces temps de crise sanitaire et de crise économique induite, tout chef d’entreprise doit légitimement s’interroger sur l’impact de cette conjoncture sur son projet de transmission. La lecture du marché des fusions-acquisitions dans les mois à venir n’est pas aisée. La dernière décennie a montré qu’après un point bas en nombre de transactions en 2011, le marché a nettement rebondi en 2012 et (à un degré moindre) en 2013 avant de connaître une nouvelle pente descendante jusqu’en 2016 (1).
Cette baisse de près de 20 % des cessions de PME entre 2012 et 2016 a été suivie de 3 années de meilleure facture (en nombre d’opérations) de 2017 à 2019.
L’évolution du marché en valeur sur la décennie écoulée s’explique par une forte volatilité des multiples d’acquisition avec ces dernières années une progression vertigineuse de l’indice Argos Mid Market (2). Ce dernier avait atteint au T3 2019 un plus haut X historique depuis sa création à 10,1X l’Ebitda. Il était de 6.3X au T1 2013 (3).
Cet indicateur ne reflète pas la réalité des valorisations des petites entreprises (Small Caps) dont les prix de cession sont impactés par une décote de taille et présentent en général une volatilité (un écart-type) beaucoup plus faible dans les secteurs d’activité traditionnels (hors technologies). En revanche, il confirme parfaitement que l’abondance de liquidités dans le système financier conjuguée à des taux d’intérêt très bas a favorisé le financement des opérations (et de facto l’inflation des multiples).
Le marché de la transmission d’entreprises peut être segmenté selon le profil du repreneur :
Les chiffres diffèrent selon les secteurs d’activité, mais on s’accorde en général sur le fait que les transmissions familiales représentent +/- 25 % des opérations de transmission de PME.
Le taux de réussite des transmissions familiales est supérieur et ces opérations sont donc considérées comme moins risquées par les pourvoyeurs de fonds. En revanche, elles deviennent de plus en plus difficiles à concrétiser au-delà d’une centaine de salariés (poids des successions et de la fiscalité, expertise du management, etc.).
Sur la décennie écoulée, le nombre de dirigeants de plus de 60 ans est passé de 17,4 % en 2010 à 20.5 % en 2016 avec une projection à 23 % en 2021 (4). Ce constat chasse l’idée reçue selon laquelle le vieillissement de la population des dirigeants serait le principal déterminant des transactions d’entreprises. La croissance de l’entreprise ou de son marché, par exemple, sont de meilleurs critères.
L’âge du capitaine est malgré tout un enjeu dans les transactions car le « taux de réalisation par rapport à l’intention » est fortement décroissant après 60 ans. Enfin, on constate qu’un dirigeant âgé est plus enclin à accorder une décote sur le prix pour faciliter la réalisation de la transaction (4).
Les questions centrales resteront inchangées après la crise :
En revanche, ces stratégies devront être adaptées,
Pour l’entreprise :
Pour les actionnaires :
Les 3 critères prioritaires pour les dirigeants cédants de plus de 55 ans seraient la pérennité de l’activité, la qualité du repreneur et la préservation de l’emploi (ce qui est une autre façon d’exprimer la pérennité), bien avant le prix de cession.
Si l’on peut admettre une corrélation entre les marchés des actions cotées et non cotées, la liquidité et la volatilité sont très différentes. Même si une correction à la baisse des valorisations des PME est une hypothèse crédible, elle pourrait être temporaire et d’une faible amplitude dans les secteurs les moins exposés à la crise.
Il convient également de rappeler que la valorisation et le prix de cession sont deux enjeux distincts. La valorisation établie avec soin par le conseil en fusions-acquisitions du cédant est discutée entre experts pour parvenir à un montant le plus objectif possible et mettant d’accord les parties. Le prix de cession est plus subjectif car la rareté peut guider l’offre. Le prix de cession comme ses modalités de paiement peuvent être aménagés à l’initiative du cédant pour permettre la réalisation de l’opération (complément de prix, ou « earn-out », crédit vendeur, etc.),.
L’analyse financière d’une entreprise post-crise ne se jugera pas sur un ou deux exercices mais sur ses performances historiques et ses perspectives au regard de l’état du marché sur lequel elle évolue, l’établissement d’un business plan soigneusement travaillé avec ses conseils étant fortement recommandé.
Il n’est pas interdit de penser que les entreprises avec les « business model » les plus robustes bénéficieront même d’une « prime de résilience » dans les valorisations post-crise.
L’accès au financement est un élément clé pour faire aboutir une opération de fusion-acquisition. La santé de l’économie financière est donc essentielle.
La crise financière mondiale de 2007-2008 était une crise de la liquidité (consécutive à une perte de confiance des acteurs bancaires) avant de déboucher sur une récession. Les économies malades ont été dopées par des injections massives de capitaux par les banques centrales (le QE pour « quantitative easing » de la FED abandonné en 2015 ou celui de la BCE qui a perduré jusqu’en décembre 2018 suite aux différentes crises de pays membres, dont la Grèce), au prix d’un endettement toujours plus élevé et de taux d’intérêts très bas (voire négatifs). Ainsi, la dette publique des USA est passée de 9 000 à 22 000 milliards de dollars entre 2007 et 2018.
Selon Eurostat, au 3e trimestre 2019, cinq pays de l’UE affichent un niveau de dette publique supérieur à 100% du PIB : la Grèce (178,2%), l’Italie (137,3%), le Portugal (120,5%), la Belgique (102,3%) et la France (100,5% contre 64.5 % en 2007).
La pandémie que nous connaissons s’est traduite par un choc sur l’offre (en Chine) suivi d’un effondrement de la demande (confinement sanitaire des salariés et consommateurs). Il s’agit d’un impact quantitatif.
Sur le plan qualitatif, il est sans doute bien trop tôt pour analyser les évolutions des comportements des consommateurs post-épidémie. Tout au plus peut-on pronostiquer des opportunités pour les entreprises ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), les entreprises du secteur médical et de la santé, les circuits alimentaires courts, etc. Certaines tendances étaient déjà fortement engagées (l’industrie du Bio, par exemple).
A contrario, bien d’autres facteurs nous menacent. La chute des cours de pétrole pourrait ruiner la Russie et provoquer des troubles sociaux dans les pays producteurs les plus fragiles. L’impact des changements climatiques sur les populations. Les grandes vagues migratoires constatées ces dernières années sont également loin d’être terminées.
Avant cette crise, il aurait été jugé inconcevable qu’une économie toute entière puisse être arrêtée deux mois. Pour les gouvernements, il a donc fallu parer au plus pressé et ressortir les recettes cuisinées depuis 10 ans.
En macro-économie, les travaux de John Hicks nous enseignent la relation décroissante entre taux d’intérêt et revenu national. Un équilibre général du marché des biens et services s’établit lorsque la courbe de l’économie réelle IS (investissement et épargne) rencontre la courbe de l’économie monétaire LM (le marché de la monnaie) (5).
Une injection de liquidités provoque une hausse du revenu et une baisse des taux d’intérêt (matérialisée par un déplacement de la courbe LM vers la droite). Avec le Covid 19, les vannes du crédit ont été ouvertes dans tous les pays occidentaux. La FED a baissé deux fois son taux directeur en mars (désormais à 0-0.25 %) et annoncé un plan de 2 300 milliards USD. Ces mesures d’urgences n’empêcheront malheureusement pas la récession, notamment parce que le niveau actuel des taux est déjà très bas (situation de trappe à liquidité).
Seule une action énergique pour relancer la consommation et l’investissement (privé et public) pourrait être réellement efficace. Les entreprises ont besoin de clients pour acheter leurs produits et services, quand c’est possible (ce sera sans doute plus long dans le domaine des loisirs et spectacles ou les cafés hôtels restaurants, par exemple).
Cette action de relance devrait être coordonnée au niveau Européen si les pays du Nord et du Sud réussissent à s’entendre. Les discussions sont en cours.
En France, malgré les mesures prises (prêts garantis par l’Etat) visant à préserver en priorité les entreprises saines, on estime que le nombre de défaillances d’entreprises pourrait atteindre 100 000 fin 2020.
La qualité financière d’une entreprise se mesure sur quelques indicateurs clés :
La pertinence de ces indicateurs en situation de crise ne peut nous échapper.
Les entreprises solvables sont en général des entreprises rentables.
Cette grille de lecture ne changera pas. En revanche, l’arrêt des activités impacte durement les trésoreries et génère de l’endettement supplémentaire (qu’il faudra bien rembourser), ce qui limitera demain l’autofinancement dans les montages à effet de levier (LBO). La structuration des financements pourrait donc évoluer et certains sujets connaître un regain d’intérêt, par exemple et sans exhaustivité :
Ces temps de confinement permettent de retrouver des lectures classiques, par exemple Joseph Schumpeter (6) et son concept de « destruction créatrice ». Si la pandémie provoque une rupture et la disparition des entreprises les plus faibles, dans des secteurs qui étaient parfois déjà menacés, elle ne remet pas en question les projets de qualité portés par des entrepreneurs dynamiques sur des marchés porteurs.
L’après-confinement génèrera également de nouvelles attentes chez les consommateurs. Passé l’effet coronavirus, qui a remis sur le devant de la scène la pyramide de Maslow (7), ces nouveaux besoins seront des opportunités pour les entreprises à l’écoute de l’innovation : sécurité sanitaire, télétravail, circuits courts et relocalisations, etc.
Pour les actionnaires-dirigeants de PME candidats à la cession, l’équation du succès reste inchangée : un conseil M&A et une équipe pour accompagner la transmission, un timing choisi et non imposé (le bon moment au regard de la stratégie de l’entreprise et de ses performances), un prix de cession réaliste, le repreneur idoine ou stratégique pour le projet d’entreprise.
Dans un écosystème qui n’a pas de raison objective de se dégrader :
L’incertitude pourrait concerner la remontée du coût du risque dans les banques mais leur solvabilité s’est nettement améliorée ces dernières années. 3 des 4 premières banques françaises « too big to fail » présentent un ratio de solvabilité de 12 % (niveau de fonds propres « durs » rapporté aux risques portés dans le bilan). Quant à BNP Paribas, elle est devenue la première capitalisation bancaire de la zone euro fin 2019.
« L’artisan, pour intervenir avec son outil, doit apprécier et attendre le moment où la situation est mûre, savoir se soumettre entièrement à l’occasion. Jamais il ne doit quitter sa tâche, dit Platon, sous peine de laisser passer le Kairos, et de voir l’œuvre gâchée » (9).
La transmission d’une entreprise est parfois opportuniste mais le plus souvent mûrement réfléchie et préparée. Le délai moyen pour vendre une entreprise est généralement de 12 à 24 mois (en fonction de la qualité de la préparation).
Le dirigeant-actionnaire cède souvent le projet d’une vie et souhaite que ce passage de relais se fasse dans les meilleures conditions pour pérenniser son œuvre et garantir l’emploi des équipes qu’il a constituées.
Les conseils en fusions-acquisitions qui ont connu des cycles contradictoires au cours de la dernière décennie connaissent la fragilité du Momentum.
Notre avis est que la crise actuelle ne remettra pas en question les projets des PME lorsqu’ils concernent des entreprises toujours solvables et rentables sur des marchés qui auront repris leur cours normal des affaires en 2021.
Au-delà, cette crise pourrait receler des opportunités de croissance en réveillant l’économie des vieux pays de la zone euro endormie depuis plusieurs années.
par Eric Le Flanchec MBA Capital Rennes
Lire les autres regards de MBA Capital :
Mis à jour le 4 mars 2022
Nos équipes sont présentes pour vous répondre
Pour recevoir les dernières informations de MBA Capital, inscrivez-vous à la newsletter !