Filière RH : entre mutations silencieuses et vivier d’opportunités capitalistiques

Entretien exclusif avec Gérard Lehr, expert du secteur, senior advisor au sein du réseau MBA Capital, fort d’un parcours hybride entre ingénierie, recrutement et conseil en organisation. Sa lecture des mouvements capitalistiques au sein des entreprises RH éclaire les dynamiques parfois insoupçonnées d’un écosystème encore hétérogène, mais riche en potentiel de consolidation.

Gérard Lehrr, senior advisor au sein du réseau MBA Capital

Vous avez traversé plusieurs vies professionnelles. Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir expert des dynamiques RH et de leurs implications capitalistiques ?

J’ai d’abord été ingénieur en R&D chez Alcatel, puis j’ai bifurqué, avec l’aide d’un coup de pouce du destin, vers le conseil en recrutement. Cette reconversion fondatrice m’a plongé dans les rouages de la chasse de tête et des dynamiques humaines en entreprise. Mon expérience s’est ensuite élargie : j’ai intégré un grand groupe RH absorbé dans une opération de M&A d’envergure mondiale. J’y ai vécu de l’intérieur une transaction de 452 millions de dollars conduite par Goldman Sachs. Aujourd’hui, je mobilise ce double regard – technico-opérationnel et stratégique – pour accompagner les entreprises dans leurs évaluations RH pré-cession, structurations d’équipes dirigeantes et optimisations commerciales avant transmission, entre autres.

Le champ RH semble vaste et morcelé. Peut-on y voir une architecture commune ou des tendances structurantes ?

Le « secteur RH » est une constellation de sous-marchés, chacun avec ses logiques propres. Toutefois, des mouvements de convergence apparaissent : les groupes cherchent à intégrer plusieurs expertises – recrutement, placement, coaching – afin de lisser les cycles économiques et mutualiser les portefeuilles clients.

Voici une cartographie simplifiée :

  • Le travail temporaire : secteur historique, avec des structures locales à forte intensité opérationnelle. Le modèle repose essentiellement sur la réactivité commerciale.
  • Le recrutement : souvent couplé à l’intérim pour une couverture des cycles économiques. Complémentarité stratégique fréquente.
  • Le management de transition : en forte croissance, structuré autour de l’expertise et de la confiance. Un marché encore très relationnel.
  • Le coaching et la formation : segment en mutation, tourné vers la digitalisation. Externalisation des formateurs et recentrage sur le marketing RH.
  • Le conseil en droit social : activité discrète mais rentable, avec des dynamiques de transmission liées à l’âge avancé de nombreux dirigeants.
  • La communication RH : en transformation rapide via les réseaux sociaux. Territoire d’innovation et de valorisation de la marque employeur.
  • Les sociétés à outil propriétaire : acteurs exploitant des licences exclusives ou des méthodes d’évaluation différenciantes (ex : DISC, PMP). Forte valeur intellectuelle.

Y a-t-il un risque de concentration du marché RH à l’image d’autres secteurs ?

Les logiques de concentration par taille critique ne s’appliquent que partiellement ici. Les dynamiques de rapprochement sont souvent opportunistes, portées par des entrepreneurs agiles plus que par des stratégies de marché mûrement planifiées – en schématisant un peu. On assiste davantage à des mouvements d’intégration horizontale ou verticale, au gré des complémentarités d’offre, d’expertise et de clientèle.

La RH est-elle un angle mort dans les opérations de fusion-acquisition ?

Trop souvent, oui. Et pourtant, elle est cruciale. La qualité du management, la compatibilité culturelle, l’alignement des politiques de rémunération ou encore l’identification de talents internes comme futurs repreneurs : voilà des leviers clés dans la réussite d’une opération. J’ai été amené à harmoniser des systèmes de rémunération ou à prévenir les risques liés au départ du dirigeant fondateur. La RH n’est pas un facteur secondaire : elle conditionne la pérennité de la valeur.


(NDR : nous y reviendrons dans un prochain article)

Concrètement, quels types de cibles intéressent aujourd’hui les acquéreurs ?

Les cabinets à forte spécialisation sectorielle, ou dotés d’une expertise méthodologique différenciante. Le consultant charismatique ne suffit plus : c’est la méthode qui doit primer. Une structure dotée d’outils d’évaluation performants, par exemple, offre une valeur pérenne et transmissible. À l’opposé, les structures trop dépendantes d’un homme clé ou d’un réseau personnel sont plus risquées, sauf à sécuriser une période d’accompagnement post-cession.
Il faut également prendre en compte que c’est un des rares secteurs où des repreneurs sans expérience RH préalable ont pu réussir des opérations, grâce à du bon sens, de l’écoute, et une dynamique entrepreneuriale. Cette faible barrière crée un vivier d’opportunités : il est possible de reprendre ou même de créer ex-nihilo des structures rentables avec un capital initial relativement modeste.

Pouvez-vous partager des cas concrets qui illustrent cette richesse du secteur ?

Oui. Un entrepreneur sans formation RH a repris une société d’intérim spécialisée dans les métiers de la maintenance industrielle. Sans expertise métier mais avec du bon sens et une capacité d’exécution, il l’a valorisée et revendue avec succès. Autre exemple : un investisseur minoritaire qui, accompagnant un fondateur, est devenu majoritaire après neuf ans, et prépare aujourd’hui la cession de sa société. Ces exemples montrent que le secteur RH, malgré sa fragmentation, offre des perspectives concrètes et rentables.

Question incontournable : l’IA et la tech transforment-elles les métiers RH ?

Progressivement je dirais. L’automatisation des candidatures, le scoring prédictif, les plateformes de matching prennent place, notamment dans les processus à grande échelle. Mais pour les fonctions à haute valeur humaine, la technologie reste un outil d’appui. Les « business games » virtuels pour les diagnostics collectifs sont une innovation prometteuse. Quant aux cabinets de communication RH, ceux qui maîtrisent les codes des réseaux sociaux bénéficient d’un avantage concurrentiel évident.
En résumé, ici comme ailleurs, la technologie fluidifie les flux, mais ne remplace ni l’intuition ni la relation humaine !

Si vous étiez investisseur, où porteriez-vous votre regard ?

Je chercherais justement des structures où la méthode prime sur le consultant, où la valeur réside davantage dans le « comment » que dans le « qui ». Des entreprises outillées, avec des référentiels solides, des licences propriétaires ou une approche d’évaluation industrialisable. C’est ce qui permet de déployer à l’échelle, de faire grandir l’entreprise sans dépendance à une personne.
Le secteur est aussi fertile pour des montages innovants : des entrepreneurs avec peu de moyens peuvent réussir avec l’appui de partenaires capitalistiques bien structurés. Il y a également des opportunités dans les entreprises dirigées par des fondateurs vieillissants ou dans les niches technologiques sous-exploitées. Enfin, le management de transition reste une piste prometteuse, car il répond à une demande croissante des entreprises en mutation.

En conclusion, le secteur RH, loin d’être uniforme, offre une mosaïque d’opportunités : modèles économiques solides, faibles barrières à l’entrée, potentiel de structuration élevé. Pour les acteurs du M&A, c’est un vivier encore sous-exploité, où l’intelligence humaine s’articule à la logique financière, et où chaque opération peut conjuguer performance et sens.

Mis en ligne le 20 mai 2025

Actualités

Vous avez une question ?

Nos équipes sont présentes pour vous répondre

Tache d'or
Tache d'or

Vous souhaitez recevoir notre newsletter ?

Pour recevoir les dernières informations de MBA Capital, inscrivez-vous à la newsletter !

Votre abonnement n'a pas pu être sauvegardé. Veuillez réessayer.
Votre abonnement a été couronné de succès.